Trompe-l’œil de Moscou

 

Gérard lefort

 

13 septembre 2013

 

Les Etats-Unis et leurs services de renseignement sont désormais mondialement célèbres pour leur capacité à espionner à mort la planète par le truchement de l’électronique dernier cri. Mais ils n’ont pas encore les moyens de demander au voisin de crier moins fort (ce qu’il appelle chanter !) ou d’ouvrir la porte du frigo pour voir si, oui ou non, il reste des bières. Donc, on peut raisonnablement supputer que, lors du dernier G20, le 6 septembre à Saint-Pétersbourg, bien que face à François Hollande et, partant, à portée de voix, le président américain ne sait pas du tout ce que son homologue français a dans et, surtout, derrière la tête. Ce qui expliquerait la particulière acuité du regard de Barack Obama, façon rayon laser de la transmission de pensée. Après tout, Obama vient du pays il y a pléthore de films de science-fiction, dans lesquels, par le seul pouvoir de sa pensée, le héros lit dans la nôtre. Et pas seulement à Hollywood. Qui nous dit qu’à la Maison Blanche, il n’y a pas seulement un bureau ovale, mais aussi un guéridon que le Président et ses conseillers font tourner pour convoquer les esprits de notre Direction centrale du renseignement intérieur ? François Hollande est-il moins ballot qu’il n’en a l’air ? Si «non», frappe deux coups. Si «oui», envoie-moi un mail de confirmation.

 

Donc Hollande parle, et Obama l’écoute. Mais Hollande parle à qui ? A ce qu’on appelle le hors-champ. Quelqu’un ou quelque chose ? N’est-il pas en train de prendre à témoin les jolis rideaux de la salle ou de dialoguer avec le sympathique bortsch en train de mijoter sur le buffet «saveurs de la Russie éternelle» qui, après réu, attend les participants ? On ne saura jamais. A moins qu’il ne soit en train de répondre à la question d’un loufiaskaïa : qui a commandé un steak ? Et Obama, écoute-t-il vraiment ? On peut supposer que, roué aux rites de la conférence internationale, le président américain sait donner tous les signes extérieurs de l’extrême attention tout en pensant à autre chose. Par exemple, à cette salope de Poutine qui doit profiter de son absence pour fomenter une nouvelle fourbasserie. Ou bien au fait que, s’il y a bien une chose au monde qu’il ne digère pas, c’est le bortsch !

 

Dans ce genre de réunion, a fortiori quand elle s’offre pour quelques minutes aux flashs des photographes, tout est dans la mise en scène des apparences. Si on se parle, c’est qu’on peut s’entendre. Quitte à se livrer des pleines troïkas de vacheries dès que les portes seront refermées et interdites au commun.

 

La singularité de ce genre de rituel est donc dans certains détails. Par exemple, le nom du coupable qui a commis la composition florale du centre de table. Trois pauvres machins blancs dans des sacs-poubelles verdasses. On dirait un de ces bouquets minables achetés sur une aire d’autoroute trois minutes avant la visite annuelle chez mamie.

 

Mais encore ? Qu’est-ce qu’on boit dans ces sommets intergalactiques des maîtres du monde ? Sauf à fantasmer de la vodka dans les verres, c’est donc un coup de flotte du robinet et une tasse de café lavasso. Bravo, l’hospitalité. Merci, la Russie. On note cependant que, pas si con, personne n’a touché à son verre d’eau. Mais la mine pâlichonne du président français tient peut-être au fait que lui, par contre, a déjà sifflé son café au rutabaga.

 

Gérard LEFORT