Ashraf Ghani face au dialogue miné avec les talibans

 

Par Frédéric Bobin (Kaboul, envoyé spécial)

 

Ce n’est pas un hasard si Ashraf Ghani a effectué, dès son élection fin septembre, ses premiers déplacements en Chine, en Arabie saoudite et au Pakistan. Ces trois pays détiennent une partie de la solution du casse-tête auquel le nouveau président afghan est confronté : convaincre les chefs insurgés talibans de discuter de paix avec le régime de Kaboul. A l’heure de la fin de la mission de combat de l’OTAN en Afghanistan, le 31 décembre, l’urgence n’en est que plus impérieuse.

 

Chaque pays à son rôle à jouer. L’Arabie saoudite wahhabite demeure l’inspiratrice idéologique des mouvements sunnites radicaux d’Asie du Sud auxquels les talibans afghans se rattachent. Le Pakistan hébergebien qu’il s’en défende officiellementl’état-major de l’insurrection dans le but de promouvoir ses intérêts stratégiques (anti-indiens) en Afghanistan. Et la Chine, parrain nucléaire du Pakistan, est dotée sur ce dernier d’une influence que M. Ghani aimerait voir activer afin d’amener Islamabad à des dispositions plus amicales à l’égard de Kaboul. Le triangle a sa cohérence. Il est naturel que M. Ghani cherche à en jouer.

 

« Opposants politiques »

Dès son intronisation, le président afghan a lancé un appel au dialogue aux talibans. Evitant soigneusement le terme « terroristes », il a appelé ses « opposants politiques » à se joindre à la réconciliation interafghane. Sera-t-il plus heureux que Hamid Karzaï ? Son prédécesseur n’avait pas ménagé ses efforts visant à séduire les talibans au point de les appeler ses « frères » et de filer un anti-américanisme hargneux en fin de règne. Il avait pourtant piteusement échoué.

 

La raison ? « Il n’y a jamais eu en fait de volonté politique réelle de discuter de la part du gouvernement Karzaï », dit aujourd’hui Abdul Hakim Mujahid, un ancien haut diplomate du régime taliban ayant rallié le Haut Conseil pour la paix (HCP), structure mise en place en 2010 par M. Karzaï pour discuter avec les chefs insurgés. M. Mujahid rappelle que deux initiatives qui semblaient bien amorcées – la conférence de Chantilly (Oise) organisée par la France en décembre 2012, et l’ouverture d’un bureau des talibans à Qatar, en juin 2013 – ont été torpillées par M. Karzaï au motif que les discussions devaient se tenir en Afghanistan même et non à l’étranger. « Le gouvernement d’alors était divisé, il n’y avait pas d’harmonie sur le sujet », se souvient M. Mujahid, qui a vécu ces psychodrames depuis l’intérieur du HPC.

 

Le problème, c’est que les autres voies explorées par M. Karzaï lui-même n’ont pas été plus fructueuses. Par l’intermédiaire de son frère Qayum, chargé des missions secrètes, il a tenté de prendre langue avec des individualités liées à la hiérarchie du mouvement taliban. Qu’il s’agisse des contacts avec le mollah Baradar, arrêté en 2010 à Karachi par les services secrets d’Islamabad, ou de l’initiative de paix de Mutasim Agha à Dubaï en février 2014, aucune des pistes favorisées par le palais présidentiel de Kaboul n’a jamais abouti. Les Pakistanais y ont mis le holà tandis que l’état-major taliban réfugié à Quetta (Baloutchistan pakistanais) semblait profondément divisé sur le bien-fondé d’un dialogue avec le régime de M. Karzaï.

 

« Ambivalence persistante des dirigeants de Kaboul »

Avec l’arrivée au pouvoir d’Ashraf Ghani, les lignes pourraient légèrement bouger. Le bureau ouvert au Qatar par les talibans, que ces derniers avaient fermé à la suite de la réaction négative de M. Karzaï, pourrait retrouver une certaine utilité. « Le bureau est formellement toujours fermé, mais il reste disponible pour nouer des contacts », explique M. Mujahid. Le nouveau président afghan dispose d’un atout : le départ du gros des troupes de l’OTAN renforce sa marge de manœuvre.

 

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Mais les obstacles qui ont miné les efforts de M. Karzaï risquent de lui barrer aussi la route. En premier lieu, « l’ambivalence persistante des dirigeants de Kaboul à l’égard du dialogue avec les talibans », selon M. Mujahid. Et, surtout, le droit de veto que s’est arrogé le Pakistan, pays hôte de l’état-major taliban. D’où l’importance qu’a mise M. Ghani à activer la géopolitique régionale pour faire évoluer le Pakistan.

 

Le pari demeure toutefois hasardeux tant que les nouveaux rapports de force militaires issus du contexte post-OTAN ne sont pas clairement établis. Il y a tout lieu de penser que les talibanssur les conseils du Pakistan – attendront de retourner le front en leur faveur avant d’esquisser le dialogue. Cette perspective annonce une intensification des combats à court et à moyen terme.