Barack Obama affaibli au moment où le monde a besoin des Etats-Unis

 

31.10.2014

 

Par Dominique Simonnet (journaliste et écrivain) et Nicole Bacharan (historienne et politologue)

 

Souvenons-nous : « Yes, we can ! », le sourire ravageur de Barack Obama, les discours lyriques exaltant les valeurs de l’Amérique, l’enthousiasme planétaire saluant l’intronisation du premier président noir de l’histoire des Etats-Unis, et ce sentiment partagé que le rêve américain était toujours vivant. Six ans plus tard, à la moitié de son second mandat, M. Obama a les traits creusés, et le verbe, las : il n’est plus question de « l’audace d’espérer ». Le 4 novembre, le Parti démocrate risque de perdre les élections législatives et Barack Obama se retrouvera face à un Congrès hostile, avec une majorité républicaine. Quant à sa popularité, elle est tombée à 43 %, chiffre jugé très mauvais. Non, le président ne fait plus rêver, et l’Amérique a le blues.

 

Pourquoi ce rejet ? Le président pâtit bien sûr du discrédit de la classe politique. Les Américains sont fatigués d’assister aux ratés incessants de la machine démocratique, aux débats stériles et aux blocages systématiques des décisions au Congrès. « Washington est cassée », constatait amèrement le président. Certes, dans un système où tout doit se négocier, le radicalisme de l’ultra-droite républicaine et des Tea Parties, refusant le principe même de tout compromis, en est la principale cause. Mais le président n’est pas apparu bon stratège. Au contraire d’un Bill Clinton et de la future candidate Hillary qui, en dépit de toutes les avanies, respirent encore la passion de la chose publique, Barack Obama n’aime pas beaucoup le jeu politique, les alliances de circonstance, les concessions aux médias, toutes choses nécessaires pour mettre de l’huile dans les rouages.

 

L’économie, d’habitude premier critère du choix des électeurs, pourrait plaider en sa faveur : l’Amérique, dont certains, prenant leurs désirs pour des réalités, annoncent régulièrement le déclin, se porte plutôt bien. Le président a réussi à prévenir le naufrage bancaire, à réglementer le secteur financier, à installer un système d’assurance-maladie qui inclut des millions de personnes supplémentaires.

 

Angoisse collective

Plus encore, la croissance du produit intérieur brut est de retour (1,7 % en 2014, 3 % annoncés pour 2015), et le chômage ne cesse de baisser (5,9 % en septembre 2014). Afin de favoriser l’activité, l’administration Obama a su doser un interventionnisme modéré de l’Etat fédéral et une politique fiscale allégée avec incitation aux investissements et aux relocalisations.

 

L’Amérique court en tête de la nouvelle économie (réseaux de partage, Internet des objets et énergies renouvelables). Pourtant, les Américains demeurent inquiets. Nombreux sont ceux qui travaillent à temps partiel, les salaires augmentent peu, les inégalités de revenus se creusent, les emplois ne correspondent pas toujours aux diplômes si chèrement acquis par des étudiants très endettés. La pâle situation de l’Union européenne, avec ses dissensions internes et la récession en France, ajoute à l’angoisse collective. Et M. Obama n’a pas le dynamisme d’un Franklin Roosevelt, ce capitaine enthousiaste qui redonnait confiance dans la tempête.

 

Mais c’est dans la tourmente internationale que le président apparaît le plus affaibli. Il voulait en finir avec les engagements hasardeux à l’autre bout de la planète. La réalité l’a rattrapé. Si les Américains ont approuvé les retraits d’Irak et d’Afghanistan, ils réalisent que les effets n’ont pas été mesurés.

 

Hésitant, irrésolu

Contre le terrorisme, Barack Obama a cru pouvoir mener une guerre furtive, avec tirs de drones, frappes ciblées sans engagement au sol, et élimination à distance des leaders inscrits sur la Kill List que les services secrets lui soumettaient chaque mardi. Mais l’horreur terroriste gagne, le Moyen-Orient est à feu et à sang, une partie de l’Afrique est soumise à la barbarie. M. Obama se montre hésitant, irrésolu.

 

On se souvient de la ligne rouge fixée au dictateur syrien Bachar Al-Assad et de sa reculade quand celui-ci l’a franchie. De Damas à Moscou, de Téhéran à Pyongyang, une conclusion fut tirée : M. Obama est un faible ; l’Amérique fait la guerre à reculons. Tout, ou presque, est permis. Malgré les alertes de ses services secrets, le président a sous-estimé la détermination de l’Etat islamique, et il a réagi bien trop tard en Irak et en Syrie. Lui, l’homme du discours du Caire, en 2009, qui misait sur le compromis et la main tendue, le voilà confronté à un monde pris de folie, face à des adversaires rongés par la haine et dépourvus de sens commun.

 

Las de la guerre, les Américains approuvent pourtant les interventions en Irak, en Syrie, et la lutte contre le terrorisme, parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. M. Obama incarne le dilemme des Etats-Unis d’aujourd’hui, contraints de jouer les gendarmes du monde tout en rêvant de ne pas le faire. Une chose est certaine : sur notre planète malmenée, l’affaiblissement du président des Etats-Unis n’est pas une bonne nouvelle. Quelle autre grande puissance pourrait envoyer la cavalerie quand les choses tournent au pire ? La Chine ? La Russie de M. Poutine qui exècre les valeurs occidentales ? L’Organisation des Nations unies, dont on connaît l’impuissance chronique ? Seule l’Europe pourrait, et devrait, lever le doigt. L’urgence serait de développer enfin une vraie diplomatie européenne et une vraie défense commune. La France qui, dans ce domaine au moins, assume courageusement ses responsabilités, peut en prendre l’initiative. Les Etats-Unis ont besoin de partenaires solides. Car personne n’aimerait voir une Amérique seule et désenchantée se replier en disant « no, we can’t ».

 

Nicole Bacharan et Dominique Simonnet sont les auteurs des « Secrets de la Maison Blanche » aux éditions Perrin, 384 pages, 21 euros