Le Big Brother français vous surveille!
05.07.2013
Dans un film de 1997, le grand cinéaste allemand Wim Wenders décrit
une opération de
surveillance électronique policière
globale. Le pouvoir a promis aux citoyens qu'elle permettrait "la fin
de la violence" – c'est le titre
du film.
Grâce à un réseau serré de caméras et de micros,
les habitants de Los Angeles sont sous
surveillance électronique constante.
Et, avant même qu'une agression
ne soit commise, la police peut intervenir et l'empêcher. Très vite, l'aventure tourne au cauchemar : la fin de
la violence, c'est la fin de la vie privée, et la fin de la vie privée,
le début de la fin de la démocratie.
Seize
ans plus tard, nous y sommes. En vrai, pas au cinéma. Nous sommes potentiellement dans un monde où l'Etat peut
tout savoir de nous ou presque.
Bienvenue dans l'enchantement numérique !
Voilà ce que nous enseignent les révélations faites par le sonneur d'alarme américain Edward Snowden et par l'enquête
qu'a publiée Le Monde dans son édition datée du 5 juillet.
Il
n'y a pas que l'Etat américain qui a développé un gigantesque appareil
permettant d'espionner l'ensemble de ses ressortissants, et au-delà. Paris
fait de même. Les services spéciaux
– la Direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE) – collectent systématiquement les signaux électromagnétiques émis par les ordinateurs ou les téléphones en France, tout
comme les flux entre les Français
et l'étranger : courriers électroniques, relevés d'appels téléphoniques, accès Facebook, Twitter et autres sites Internet... Tout est
conservé.
Il
ne s'agit évidemment pas de
lire ou d'écouter des
milliards de communications, plutôt d'être en mesure de stocker l'identifiant
des appelants et des appelés.
Et de pouvoir procéder ensuite, si besoin
est, à une interception proprement dite. Mais, sans aller jusque-là, l'univers numérique – auquel nous ne pouvons échapper car il est celui
de notre vie quotidienne – fournit ainsi à l'Etat, s'il veut
en disposer, un "profil" de nos vies privées et professionnelles.
Aux
Etats-Unis, le système est accompagné d'un semblant de contrôle parlementaire et judiciaire. Rien de tel, semble-t-il, en France, où les sept services de renseignement peuvent avoir accès
à la banque de métadonnées
de la DGSE.
On
connaît les solides raisons
qu'a l'Etat de se doter
d'un instrument pareil. Il s'adapte
aux nouvelles nécessités de
la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme.
Il assure l'une de ses principales missions : protéger
la sécurité de ses ressortissants. En ce sens, Ben Laden a nourri Big
Brother – et Al-Qaida porté des coups à la démocratie.
Certes,
le politique peut a priori
se targuer d'un assentiment
populaire. Il n'empêche, cette évolution est dangereuse. Ce n'est pas céder
à la moindre paranoïa antiétatique que de constater que, par la grâce du numérique, l'exécutif dispose dans nos démocraties d'un instrument
de type totalitaire : le contrôle
par la connexion.
Par
nature, tout gouvernement aspire à contrôler. Il revient au législatif et au judiciaire de s'adapter à leur tour aux
machines mises en place par l'exécutif
au nom de la sécurité.
Il
faut des contre-pouvoirs, parlementaires et judiciaires,
pour tenir en respect l'immense
pouvoir acquis sur nos vies par le gouvernement.
En
France, à en juger par le silence qui a accueilli notre enquête, c'est mal parti.