Ovocytes congelés par Apple et Facebook : bienvenue dans le meilleur des mondes

 

Par Wladimir Garcin*

 

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Facebook et Apple proposent de soutenir financièrement les femmes qui désirent congeler leurs ovocytes pour se concentrer sur leur carrière. Le philosophe Bertrand Vergely y voit une «manipulation de la vie».

 

FigaroVox: Deux géants de la Silicon Valley, Facebook et Apple, pourraient faciliter la congélation d'ovocytes pour les employés qui le désirent. Le but, selon l'entreprise, serait d'offrir la possibilité aux femmes de ne plus choisir entre la carrière et la vie de famille. Faut-il y voir un progrès de la liberté ou une inquiétante dérive?

 

Bertrand VERGELY: La chose est présentée de manière très ambiguë. D'un côté, on peut y voir un désir, de la part des compagnies, de ne plus sanctionner les femmes à cause de leur grossesse. Jusqu'ici, une femme pouvait ne pas être engagée car on supposait qu'elle allait devoir partir, s'occuper de ses enfants et qu'on ne pourrait ainsi pas compter sur elle. Cette mesure peut donc permettre à ces femmes d'outrepasser cette discrimination: l'entreprise lutte contre son propre sexisme, et cette mesure est en cela un réel progrès.

 

D'un autre côté, sous prétexte de respecter la femme en tant que personne, on ne respecte peut-être pas suffisamment l'être humain en tant que personne. A partir du moment où vous congelez des ovules, du sperme, et engagez un processus de procréation artificialisée, vous manipulez l'être humain. En cela, la procréation devient technique, impersonnelle, hors du corps des parents. De plus, Google, par exemple, Facebook ou Apple se servent en réalité de cette proposition pour gagner de l'argent: les femmes deviennent encore plus corvéables, déchargées du souci de la maternité, et peuvent en cela se consacrer corps et âme à l'entreprise. Le plus frappant, c'est que ce gain de productivité, caché sous une enveloppe féministe, donne une excellente image à l'entreprise

 

On a donc un cocktail redoutable, entre une image féministe d'une part, et une exploitation, une dépersonnalisation de la femme d'autre part. Il est également très difficile de critiquer les entreprises, protégées par leur apparent combat pour l'égalité et les progrès des femmes, sans passer pour un réactionnaire sexiste.

 

Cette mesure est présentée comme un choix par les entreprises. Toutefois, le risque n'est-il pas que les entreprises fassent pression sur les femmes pour qu'elles congèlent leurs ovocytes, et se concentrent sur leur travail? Cela pose la question de l'intrusion des entreprises dans la vie privée…

 

Bien entendu. De plus, un engrenage se met aujourd'hui en place: aujourd'hui, on pousse les femmes à congeler leurs ovules. Et demain, où ira-t-on? Les enfants seront-ils faits par la science? Je rappelle qu'il existe un projet d'utérus artificiel, qui pourrait reproduire les conditions optimales pour accueillir un embryon. Un tel projet permettrait une grossesse extra-utérine, débarrassée du père, de la mère. En somme, la reproduction de l'être humain ne passerait plus par le corps de l'humanité mais par une machine.

 

Les entreprises comme Google, Apple ou Facebook, se mêlent donc aujourd'hui de la reproduction du genre humain. Au-delà d'une intrusion dans la vie privée des employés, je pense qu'il faut parler de manipulation de la vie en elle-même! Google, par exemple, investit actuellement dans des recherches importantes pour vaincre la mort. A présent, ils veulent interférer avec la question de la naissance. Rien ne résisterait donc à Google? J'ai envie de rajouter que le couple, que la vie ne résistera pas non plus. Nous observons une prise de pouvoir ahurissante de ces entreprises, qui se mêlent de l'avenir du genre humain tout entier.

 

Cela donne-t-il raison à ceux qui s'inquiètent d'une possible légalisation de la GPA et de la PMA? Va-t-on tout droit vers une marchandisation du corps humain? Sous l'effet des progrès technologiques, assiste-t-on à une déshumanisation de l'homme?

 

D'abord, je pense effectivement que le gouvernement est furieux de la réaction des citoyens à propos du Mariage pour tous. Il s'est rendu compte de ses erreurs dans la gestion de cette crise, face aux manifestations gigantesques, et de ses échecs pour mobiliser ses soutiens dans son propre camp. Il essaie désormais une nouvelle stratégie, plus discrète, pour nous faire accepter la GPA et la PMA. Un processus semblable est d'ores et déjà mis en place à l'école pour introduire la théorie du genre sans déclencher de conflit: on n'enseigne ainsi plus directement l'égalité, le genre, mais on propose aux enfants d'aller voir l'exposition du «Zizi sexuel». Ensuite, on revient en cours sur le contenu de l'exposition avec les enfants.

 

C'est ainsi que ce genre de mesures, mises en avant par Google, Facebook ou Apple, peuvent être un levier pour le gouvernement, qui pourrait alors nous dire que si une telle mesure existe à l'étranger, elle devrait aussi être mise en place en France, et ce, pour tous les couples, hétérosexuels comme homosexuels. De fil en aiguille, on en arrive rapidement à la PMA, puis à la GPA…

 

A mon sens, nous entrons dans un processus préoccupant. Notre société souhaite appliquer les techniques de la science à l'homme ; autrement dit, elle cherche à déréaliser homme, à nier son individualité, pour appliquer plus facilement des algorithmes, des clés de lecture sur le monde. Le but est alors bien de simplifier l'être humain, de le dématérialiser, de le désindividualiser, au nom de cette simplification rendue possible par la technologie moderne. L'homme est ainsi peu à peu sacrifié à l'argent, à l'entreprise, au capitalisme, nouvelles religions du monde.

 

*Bertrand Vergely est philosophe et théologien. Il est l'auteur de Deviens qui tu es: La philosophie grecque à l'épreuve du quotidien (Albin Michel, 2014).